Publié le 7 novembre 2024–Mis à jour le 18 novembre 2024
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Des biomatériaux innovants pour la reconstruction osseuse
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Michel Boissière, enseignant-chercheur et maitre de conférences à CY Cergy Paris Université, est lauréat du programme Horizon de CY Initiative. Son projet AntiMOD est axé sur la création de biomatériaux anti-microbiens ayant vocation à être inertes vis-à-vis du système immunitaire.
CY Initiative : Pourriez-vous vous présenter et nous en dire plus sur votre carrière et vos grandes thématiques de recherche ? Michel Boissière : Je suis maître de conférences au laboratoire ERRMECe, un laboratoire de biologie s'intéressant aux interactions entre la matrice extracellulaire et les cellules. Chimiste de formation, et même chimiste des matériaux, je m’intéresse plus particulièrement au développement des matériaux qui sont susceptibles d'être implantés dans le tissu biologique et que l’on nomme biomatériaux. De ce fait, au sein du laboratoire, je suis le coordinateur d'un groupe de recherche sur ce thème. Nous développons toutes sortes de biomatériaux pour différentes applications et notamment les matériaux qui sont destinés à suppléer des déficiences osseuses, un sujet au cœur de mes recherches.
Je travaille en effet sur des matériaux qui pourront être implantés dans le cadre de grandes pertes de substances osseuses ou dans le cadre de suppléances mécaniques nécessaires au niveau de l'os. Ces matériaux peuvent prendre différentes formes : céramique, métal, ou encore des gels, des polymères ou du bio-verre.
Dans le cadre de ces activités, il y a quelques années, j'ai été contacté par un consortium de chercheurs qui avait démarré un projet sur l'élaboration d'alliages métalliques pouvant être utilisés dans le cadre de matériaux d'ostéosynthèse. Il s’agit de matériaux très répandus. Par exemple, quand vous avez des fractures ou des accidents de la vie, le chirurgien va implanter des vis et des plaques pour maintenir l'os cassé, le temps que cela cicatrise. Ces matériaux-là s'appellent les matériaux d'ostéosynthèse. Ils sont souvent fabriqués soit avec des aciers, soit avec des titanes, et doivent avoir des propriétés intéressantes en termes de résistance mécanique. Malheureusement, ces matériaux d'ostéosynthèse ont un certain nombre de défauts, l’un des plus importants étant qu’ils peuvent être une source potentielle d’infection. C’est sur ce point que j’ai concentré mes recherches et le projet AntiMOD.
CY Initiative : Justement, vous avez été lauréat de l’appel à projets 2024 de CY Initiative avec AntiMOD. En quoi consiste ce projet ? Quel est son objectif ? Michel Boissière : Dans l'écosystème biologique, les biomatériaux sont enclins à des risques d’infection, parfois trois mois, six mois ou même un an après la greffe, et à ce moment-là, il faut réopérer. Avec ce projet, nous souhaitons développer des matériaux d'ostéosynthèse antimicrobiens qui sont censés être inertes c'est-à-dire qu'ils ne sont pas censés déclencher de réaction immunitaire. Ce que nous voudrions, c'est se prémunir de ce genre de problème, en ayant équipé au préalable le biomatériau de peptides qui empêcheraient le développement de bactéries, qui faciliteraient la cicatrisation du tissu ou stimuleraient la vascularisation, qui pourraient jouer le rôle d’anti-inflammatoires, etc. Tous ces peptides existent déjà ; la vraie question est de savoir comment les intégrer sur les biomatériaux et les rendre actifs. L'objectif est de montrer que nous avons des matériaux qui sont parfaitement sûrs, et qui, à long terme, pourront éviter toute forme d'infection ou de prolifération. Si nous arrivons à démontrer, dans le cadre de ce projet, que nous sommes capables de faire des matériaux métalliques, sur lesquels on vient greffer de façon efficace des peptides antimicrobiens, cette application peut s'orienter vers d'autres domaines. On peut très bien imaginer que demain, des boîtes de conserve qui contiennent des aliments puissent être aussi recouvertes de peptides antimicrobiens.
CY Initiative : Ce projet repose sur la collaboration entre plusieurs laboratoires, pouvez-vous nous en dire plus ? Michel Boissière : Ce projet englobe en fait cinq laboratoires qui vont agir à différentes étapes du projet. Le premier est le laboratoire LSPM du CNRS, qui est le laboratoire spécialiste des alliages et dont le rôle sera de nous aider à fabriquer un alliage sur mesure sur lequel nous pourrons greffer les peptides. A cela s’ajoute le laboratoire ITODYS qui va intervenir sur l’intégration des molécules à la surface de l'alliage par des procédés électrochimiques. Ensuite, le laboratoire BioCIS de CY Cergy Paris Université sera impliqué dans la synthèse de ces molécules, et un laboratoire en Italie va nous aider à concevoir un dispositif qui permettra de libérer le peptide sous l'action d'une impulsion lumineuse. Ainsi, lorsqu'elles seront excitées avec une longueur d'onde précise, elles vont céder et libérer le peptide pour qu'il puisse avoir une action antimicrobienne au-delà de la surface.
Pour finir, le laboratoire ERRMECe coordonne le projet et va évaluer les propriétés bioactives anti-microbiennes des différents dispositifs qui ont été mis en place.
Dans le cadre de ce projet, nous nous sommes également rapprochés de la plateforme Peptlab, une plateforme dédiée à la synthèse et au développement de peptides. Nous souhaitons développer ensemble des peptides antimicrobiens pour pouvoir éventuellement les greffer sur ces alliages.
CY Initiative : Concrètement, comment va se déployer ce projet ? Michel Boissière : Concrètement, le projet commencera par la création de l’alliage, développé en fonction de ses propriétés mécaniques et infrastructurelles. Puis le laboratoire ITODYS sera à la manœuvre pour l’intégration de la molécule. Le projet repose en fait sur deux livrables clés : tout d’abord le substrat métallique destiné à accueillir les peptides antimocrobiens, et un autre substrat présentant des peptides avec des molécules qui seront sensibles à la lumière. L’aboutissement de ces deux livrables demandera un travail de coordination conséquent entre tous les laboratoires. Nous allons aussi devoir faire une veille réglementaire de manière régulière, s'informer sur les choses qui sont faisables, celles qui ne le sont plus, etc. Pour ce faire, nous avons recruté une doctorante qui va démarrer avec nous en octobre sur ce projet et qui va dans un premier temps travailler avec l’équipe responsable de la mise en place des alliages.
Nous espérons que ce projet pourra servir de tremplin pour candidater par la suite à des financements avec des partenaires européens en Italie, en Suède, en Hongrie, en Bulgarie et en Espagne.