le 5 juin 2025
  • Recherche

  • Actualités recherche

Publié le 5 juin 2025 Mis à jour le 5 juin 2025

Comprendre la mobilité pour transformer le territoire

Photo Aérienne De Bâtiments Et De Routes
Photo Aérienne De Bâtiments Et De Routes - L'aménagement des modes de mobilité a un fort impact sur la vie des usagers. - © Aleksejs Bergmanis via Pexels

Comment optimiser la mobilité alors que nos vies et nos trajets se complexifient ? Le projet INDIUM de Liu Liu propose de développer des modèles ambitieux afin de comprendre et d'optimiser l'organisation de nos territoires, dans le respect des besoins des citoyens et de l'environnement.

CY Initiative : Pourriez-vous vous présenter et nous en dire plus sur votre carrière et vos grandes thématiques de recherche ?
Liu Liu : Je suis venue étudier en France dès mes études supérieures. Au sein de mon école d’ingénieur, j’ai choisi la spécialité génie civil et urbanisme puis je me suis orientée vers l’aménagement du territoire. En faisant ce choix, je voulais contribuer à améliorer l’habitabilité des quartiers de vie et leur accès au territoire via les systèmes de transport. On aborde les projets urbains en se concentrant bien trop souvent sur un bâtiment, un ouvrage d’art ou une infrastructure même, mais pas suffisamment sur la relation de ces œuvres avec d’autres fonctions urbaines, c’est-à-dire l’accessibilité entre les différentes activités via les réseaux de transports.

J’ai tout naturellement fait ensuite une thèse sur le sujet de l’aménagement du territoire et en particulier, son rôle de déploiement des fonctions urbaines, grâce à sa coordination avec les réseaux de transports sur un terrain réel. J’ai établi des scénarios de Transit-Oriented Development (TOD) appliqués à la métropole lilloise et ainsi, démontré l’importance d’une organisation spatiale coordonnée entre fonctions urbaines et réseaux de transports.
Liu Liu
Liu Liu - Liu Liu est chercheuse au sein du laboratoire MATRiS. - © Lab Recherche Environnement

Après mon doctorat, j'ai eu l'opportunité de participer à différents projets de recherche, et mené des analyses prospectives territoriales à plusieurs échelles temporelles et spatiales. Ces projets de recherche ont l’objectif commun de réduire nos divers impacts environnementaux, grâce à une réorientation de mobilité et de l’immobilité (activités) des personnes. Les impacts environnementaux que j’efforce à réduire à travers ces projets de recherche vont de l'artificialisation du sol comme ressource naturelle à l’émission des gaz à effet de serre et des polluants.
 
Actuellement, je suis maître de conférence au sein du laboratoire MATRiS, où je poursuis mes recherches sur la construction d'un territoire vivable et coordonné, afin de permettre une mobilité humaine durable, une artificialisation du sol raisonnée, ainsi que de réduire les multiples émissions liées au transport. J'utilise notamment une approche d’évaluation quantitative à travers des jeux de données massives et des outils de modélisation et simulation. 

CY Initiative : Vous avez été lauréate de l’appel à projets 2024 de CY Initiative avec INDIUM. En quoi consiste ce projet ? Et quel est son objectif ? 

Liu Liu : Aujourd’hui, 32% des émissions de gaz à effet de serre proviennent des transports routiers. Parmi ces 32%, plus de la moitié vient des véhicules personnels, et non pas des poids-lourds comme on pourrait le penser. Ce sont nos propres modes de vie, et nos voitures personnelles qui émettent le plus. Cela s'explique notamment par la dispersion des activités économiques sur le territoire. L’objectif du projet est donc de reproduire comment les gens organisent leurs activités et leur mobilité au quotidien, afin d’aider certains à sortir de leurs pratiques actuelles. Il est illusoire de penser qu’un individu qui habite en banlieue lointaine, par exemple dans le Val-d'Oise (95), et qui doit se rendre en Seine-et-Marne (77) pour le travail ne prendra pas sa voiture. Il est clair que s’il prenait les transports en commun, le trajet serait très complexe et même peut-être impossible au regard de ses horaires de travail et de celles des transports. De même, il est difficile de demander aux personnes qui n’en ont pas les moyens de faire le nécessaire pour acheter une voiture électrique ou moins polluante. Cela oblige ainsi certaines populations à émettre une quantité significative d’émissions. Avec ce projet, notre idée est de repérer les modes de vie associés à une mobilité peu saine et de concevoir des modes de vie plus durables. 

Pour cela, nous allons avoir besoin d’un grand nombre de données, par exemple sur les personnes qui pratiquent le péri-urbain.  Ce sont les données des personnes qui ont besoin de parcourir de nombreux kilomètres pour des tâches de première nécessité : aller au travail, accompagner des personnes de leur famille dans leurs démarches de santé ou des démarches administratives. Nous allons ainsi devoir croiser un grand nombre de données. 

Notre objectif est d’orienter vers un usage du sol rationnel permettant de réduire les distances à parcourir. Pour ce faire, nous allons essayer de modifier la future demande d'activités (puis de mobilités) avec pour objectif de maîtriser les lieux de constructions/reconversions, de se coordonner avec les offres de transports, et donc de soutenir un redéploiement de notre territoire contre l’étalement et la fracture urbaine. 

Nous partons d’une problématique relevant des sciences humaines, mais nous devrons utiliser des méthodes d'informatique, ou de data science, c’est-à-dire des méthodes d’apprentissage voire de l’intelligence artificielle, pour mieux anticiper les besoins de la population tout en optimisant l’intérêt global d’un territoire. 

CY Initiative : Concrètement, comment va se déployer ce projet ? 

Liu Liu : La première phase est de sélectionner les données qui seront vraiment utiles pour nous, car nous avons besoin de données qui illustrent par exemple les trajectoires des ménages et l'évolution de leurs territorialités. Nous devrons aussi recueillir des données décrivant l’usage du sol, les différentes fonctionnalités au sein d’un même bâtiment, celles des pratiques de mobilités, des pratiques de télé-activités, les données des véhicules, etc. Cette sélection va nous permettre d’avoir à disposition des données très hétérogènes, que nous devrons croiser, mettre en conformité et partager. Cela devrait nous permettre de construire un prototype d’apprentissage focalisant sur l’enrichissement de la population synthétique.  

En effet, ce prototype devrait déjà permettre d’enrichir une population synthétique reproduisant les modes de vie actuels dans un premier temps. Nous souhaiterions créer des séries de population synthétiques issues des données du passé, enrichies à la fois par la spatialité des populations et les caractéristiques d’émission de leurs véhicules. Ce prototype basé sur une méthodologie d’enrichissement devrait permettre ensuite de passer à une seconde phase de modélisation, à savoir, proposer des hypothèses spatiales et environnementales pour les populations synthétiques du futur. Nous prendrons bien entendu en compte les incertitudes causées par les évènements perturbateurs comme la pandémie de COVID-19.

L’objectif final de ce projet est d’aider les décideurs politiques à prendre des décisions éclairées sur l’aménagement sur un territoire donné dans le but de réduire les externalités environnementales générées par les immobilités et les mobilités. Il s’agit de proposer une structure globale du territoire beaucoup plus durable en agissant sur la racine des problèmes. Nous commencerons par proposer des actions concrètes pour la région Ile-de-France, notre terrain d’étude principal. 

La difficulté de ce projet est qu’il existe aujourd’hui très peu de modèles capables de faire des projections à haute résolution spatiale et des prévisions sur le long terme, aussi bien dans le domaine de l’usage du sol que dans le secteur d’automobiles. C’est un enjeu fort pour nous car nous voulons faire des prévisions à 10 ans voire plus, afin que leurs effets prennent du sens. Nous aimerions également que ce projet soit libre d’accès, afin que les collectivités territoriales puissent les utiliser dans leurs prises de décision et ainsi agir immédiatement. L’objectif est de leur permettre d’adopter un aménagement anticipé grâce aux données et outils numériques. 

CY Initiative : Vous n’êtes pas seule à travailler sur ce projet, pouvez-vous nous présenter l’équipe qui travaillera avec vous ? 

Liu Liu : Je suis le porteur du projet, mais il a été construit à plusieurs, et rassemble diverses compétences. J'ai par exemple sollicité Dimitrios Kotzinos, professeur en sciences informatiques et membre du laboratoire ETIS. Il a un master en transport et est donc très sensible à ces sujets. Geneviève Zembri-Mary, directrice du laboratoire MATRIS, est également impliquée dans ce projet et nous apporte une vision stratégique d’aménagement, notamment sur les risques des projets. Nous avons également la chance de bénéficier de l’apport de Rémy Le Boennec du Cerema, qui a travaillé aussi sur la localisation des ménages en applicant les théories de la microéconomie. Nous allons aussi très prochainement recruter deux post-doctorants pour nous accompagner. Le premier post-doctorant se focalisera sur la projection des véhicules et les caractéristiques des émissions de ces derniers. Le deuxième travaillera sur la localisation des fonctions urbaines et sa prévision. Tous deux contribueront à l’enrichissement de la population synthétique qui formulerait des inputs complets pour les modèles à base d’agents.
 

En savoir plus