Lorsque la physicochimie et les sciences informatiques s'allient, les possibilités sont infinies. Frédéric Vidal (LPPI) et Alexandre Pitti (ETIS) le démontrent au sein de leur projet HASORO, qui vise à concevoir des robots souples et des muscles artificiels.
CY Initiative : Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre carrière ainsi que de vos principales thématiques de recherche ?
Alexandre Pitti : Après un doctorat à l’Université de Tokyo (ISI Laboratory) en 2007, j'ai été chercheur pour l'agence de recherche japonaise JST jusqu'en 2011. J’ai rejoint CY Cergy Paris Université en 2011. J’ai été titulaire de la Chaire d'Excellence CNRS/CY Cergy Paris Université en Robotique Cognitive de 2011 à 2016 et membre du comité GDR Robotique CNRS, GT8 « Robotique et Neuroscience » de 2015 à 2019. Je suis actuellement professeur associé au laboratoire ETIS à l’ENSEA, et responsable du groupe NEURO, qui est constitué de 15 chercheurs et de vingt doctorants et post-doctorants.
Mes travaux de recherche portent sur l'IA incarnée, qui prend en compte le corps comme élément important des fonctions de l’intelligence, comme la spatialité, la coordination sensorimotrice. Le corps lui-même est important, comme sa morphologie, ses muscles, ses senseurs.
Au sein du laboratoire ETIS, nous nous dirigeons un peu plus vers de la robotique souple et bio-inspirée. Nous essayons de comprendre la cognition humaine afin de la modéliser. Dans ce sens, il faut penser le corps du robot avec ses capteurs, et ses moteurs. Par exemple, nous avons mis au point des robots souples et aussi une peau artificielle.
Même si notre expertise est l’informatique, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait aller au-delà et qu’il fallait explorer le côté chimique pour être au cœur du matériel ; par exemple, pour créer des muscles artificiels.
CY Initiative : Justement, vous avez été lauréat de l’appel à projets 2024 de CY Initiative avec HASORO. En quoi consiste ce projet ? Et quel est son objectif ?
Ce projet porte sur les robots souples. Il s’agit de robots que nous pourrions inciter à se déplacer ou à agir avec plus de facilité et moins d’effort que les robots rigides classiques. Ces robots souples pourraient aider, notamment en combinant force et souplesse, les personnes dans certaines actions. Cependant, s’ils sont amenés à avoir des interactions physiques et sociales, ils devront pouvoir le faire sans mettre en danger les humains. Par exemple, il faudrait qu’ils soient capables d’éviter les obstacles, de mesurer la force à déployer...
On veut qu’ils soient souples mais facilement contrôlables, et c’est là que la problématique algorithmique du contrôle devient complexe.
Ce projet est porté par deux laboratoires et par deux porteurs de projet complémentaires : le laboratoire ETIS pour la partie informatique, que je représente, et le laboratoire LPPI pour la physicochimie, avec le concours de Frédéric Vidal.
Nous essayons de travailler sur des robots souples et de créer des matériaux conducteurs et piézo-électriques. Quand on les déforme, un courant électrique va être émis afin d’activer des parties du robots. Les équipes de Frédéric Vidal vont ainsi créer les matériaux, et de notre côté nous allons travailler à développer des modèles de contrôle sur cette base. Nous pourrons ainsi travailler avec précision pour développer des matériaux qui répondent au mieux aux besoins. C’est un travail complémentaire entre nos deux laboratoires.
Nous travaillerons également sur les muscles artificiels, en nous basant notamment sur ceux développés par des chercheurs allemands, appelés muscle HASEL (Hydraulic Amplified Self Healing Electrostatic). Il s’agit de muscles qui sont à la fois souples et hydrauliques. En faisant passer un courant extrêmement fort dans un système liquide, on obtient un muscle qui peut se comprimer ou se gonfler.
Le sujet des robots souples est au cœur des enjeux de recherche en robotique et en chimie actuellement. L’année dernière, un projet national a notamment vu le jour au niveau du CNRS, du CEA et de l’INRIA, le PEPR Robotique Organique, dans lequel je participe et regroupant une quinzaine de laboratoire. L’objectif est d’explorer les différents axes d’amélioration et de développement de ces robots souples.
CY Initiative : Concrètement, comment va se déployer ce projet ?
Au laboratoire ETIS, nous avons l’expertise des robots souples mais avec une vision sur la mécanique et le contrôle. Nous ne travaillons pas sur les aspects matériels. Nous allons ainsi avancer en parallèle avec le laboratoire LPPI.
Frédéric Vidal va travailler sur le côté chimique afin de développer des matériaux et de mon côté je vais travailler sur le développement de robots souples pouvant intégrer ces matériaux. Frédéric peut créer des muscles avec de nombreux critères (souple, rapide, léger...), c’est à nous de leur donner notre besoin en fonction de l’application souhaitée.
Nous travaillerons ensuite à l’intégration de ces éléments dans le robot. Une fois que l’on a un muscle, comment peut-il être inséré dans un système robotique ? Et ensuite, comment contrôle-t-on ce robot ?
Le sujet des robots souples est une thématique qui va prendre de l’ampleur à l’avenir, car cela va permettre de développer des robots qui résistent mieux à l’usure, qui cassent moins, mais aussi des robots qui sont plus performants dans les interactions avec les humains. Cela pourrait même conduire à des avancées significatives dans le domaine médical, notamment en ce qui concerne les prothèses issues de ces recherches.
CY Initiative : Pourquoi avez-vous postulé à cet appel à projets ?
Cet appel à projets représente une opportunité pour faire progresser ce projet et obtenir des résultats préliminaires. Cela nous permettra de développer des projets plus ambitieux et de rechercher des financements, tant au niveau national qu'européen. Il s’agira aussi pour nous de travailler avec d’autres laboratoires notamment à l’international ou au sein de l’Alliance EUTOPIA afin de trouver des compétences complémentaires aux nôtres.
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