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le 30 août 2024
Publié le 29 août 2024– Mis à jour le 29 août 2024
Le changement climatique et la place de la science dans le débat public
Lors de son appel à projet 2023, CY Initiative a soutenu 14 projets de recherche innovants. Découvrons ensemble l’un des projets lauréats du programme Horizon, porté par Luciana Radut-Gaghi, enseignante-chercheuse et professeur des universités à CY Cergy Paris Université, sur l'utilisation de la science dans le débat public en faisant un focus sur son utilisation lors des différentes Conférences des Nations unies sur les changements climatiques (COP).
CY Initiative : Pourriez-vous vous présenter et nous en dire plus sur votre carrière et vos grandes thématiques de recherche ?
Luciana Radut-Gaghi : Depuis 2011, je suis maitre de conférences en Sciences de l’information et de la communication à CY Cergy Paris Université. J’ai été promue professeur des universités en 2022. J’ai fait ma thèse en sciences sociales à l’université Paris-Descartes sur les discours des politiques et des intellectuelles sur l’intégration européenne. En vertu de ce sujet, j’ai fait ma carrière en sciences de l’information et de la communication.
Pendant de longues années, j’ai continué à mener des recherches sur l’Europe. Je poursuis d’ailleurs cette étude dans le cadre du réseau LEMEL (L’Europe dans les médias en ligne formé de chercheurs originaires de huit pays dans le monde). Au fil des analyses, je me suis d’abord intéressée à la question de la vérité ou des vérités qui ne connaissent pas en réalité de réponses heuristiques uniques.
Ensuite, je me suis intéressée plus précisément aux crises que nous avons traversées ces vingt dernières années, allant des crises économiques à la crise des migrants, au Brexit, à la Covid et plus récemment à la guerre en Ukraine. Toutes ces crises ont rendu très évident le fait qu’il y avait des vérités qui semblaient circuler dans l’espace public, et pas une seule vérité. De plus, les porteurs de ces vérités semblaient avoir des statuts égaux dans l’espace public, comme si rien ne les différenciait.
Les recherches faites jusqu’ici pendant le 20ème siècle mettaient surtout en avant le statut privilégié du chercheur et de la science dans une économie de la parole et dans le discours public. La manière dont les scientifiques ont été présents et présentés, notamment durant la crise de la Covid, la plus récente en la matière mais pas la seule naturellement, a fait ressortir une sorte de lutte de légitimité chez les scientifiques. Invités sur les plateaux de télévision ou à prendre la parole dans les médias, ils avaient besoin de justifier et d’argumenter leurs paroles scientifiques. Or, pour moi, ceci est un non-sens. On n'argumente pas une vérité. On l'explique, on la démontre, on la fait comprendre, mais on n’argumente pas la science. C’est tout le sujet de mes travaux de recherche aujourd’hui.
CY Initiative : Vous avez été lauréate de l’appel à projet 2023 de CY Initiative. En quoi consiste ce projet ? Et quel est son objectif ?
Luciana Radut-Gaghi : Ce projet a émergé il y a cinq ans suite à une réflexion menée avec mon collègue Axel Boursier du laboratoire LT2D. En discutant des orientations de nos recherche, nous avons identifié un sujet central sur lequel nous pencher : les voix du raisonnement scientifique et l’incertitude de la connaissance dans le débat public, notamment sur le sujet du réchauffement climatique. Après plusieurs échecs lors de divers appels à projet, nous avons fini par obtenir un financement de CY Cergy Paris Université en 2023.
Le projet UNKNOWNPATH, lauréat de l'appel à projet 2023 de CY Initiative, vise à comprendre comment des communautés épistémiques véhiculent les mêmes informations scientifiques souvent sous forme d’arguments pour des actions et des intentions qui n’ont rien à voir avec la science. Nous partons d’une observation simple : les mêmes arguments sont utilisés par des communautés très variées, et souvent avec des intentions très différentes, voire opposées. Notre objectif est de comprendre comment cela s'articule dans un espace public digital, en partant des réseaux sociaux et plus spécifiquement sur le réseau social Twitter (connu aujourd’hui sur le nom de X).
Pour cela, nous avons organisé notre projet de recherche en plusieurs étapes. Nous avons commencé par identifier ces communautés épistémiques pour ensuite nous intéresser aux données. En effet, la deuxième étape consiste à comprendre comment des milliers de publications sur X peuvent créer ou influencer des polymorphismes, des paradigmes, des théories liées aux changements climatiques. Pour finir, il s’agira de comprendre comment ces arguments fondés sur la science sont utilisés pour convaincre, et cela à l’échelle mondiale.
Pour ce faire, nous avons décidé de nous focaliser plus spécifiquement sur les Conferences of the parties, plus communément appelés COP. Ces conférences de l’Organisation des Nations unies, qui se déroulent chaque année dans un pays différent, réunissent depuis 1995 les gouvernements du monde entier pour réfléchir aux moyens de lutter contre les changements climatiques. Dans la cadre de ce projet, nous allons nous concentrer sur l’analyse des trois dernières COP, en nous arrêtant à la COP28 qui s’est déroulée en 2023 à Dubaï. L’objectif est d’observer entre chaque COP les grands débats et grandes controverses liés au changement climatique. Toutes ces polémiques ont des ancrages dans des informations et théories scientifiques, mais ce n’est pas pour autant qu’elles sont des controverses scientifiques dans l’espace public. Et le plus souvent, ce que nous observons, c’est qu’elles se transforment en controverses sociales. La science perd donc son statut premier, et ces controverses sont soumises à d’autres intérêts et notamment des intérêts privés et politiques.
CY Initiative : Quelles sont les forces de votre projet ?
Luciana Radut-Gaghi : Dans le cadre de cet appel à projets, nous avons su bâtir une équipe de recherche avec des compétences scientifiques complémentaires. Cela s’est fait dès la phase d’étude du projet où nous avons eu des retours très constructifs de la part de nos collègues de l’ESSEC. C’est à ce moment-là que nous avons eu l’opportunité d’échanger et d’enrichir l’équipe projet.
Elle se compose ainsi aujourd’hui des professeurs Fabrice Cavarretta et Linda Benraïs, des collègues de l’ESSEC Business School avec des compétences en sciences des organisations et en négociation et puis avec des approches théoriques très originales. A cela s’ajoutent les connaissances et compétences du professeur Dimitris Kotsinos, spécialiste en data sciences à CY Cergy Paris Université, qui apporte une vision Big Data au projet. Nous avons également des collègues du LPI qui sont venus avec des outils d’IA sur lesquels ils travaillent avec pour ambition de remonter l’argumentation jusqu’à la source scientifique. Et pour finir nous avons également des collègues de l’université Babeș-Bolyai en Roumanie qui travaillent spécifiquement dans le journalisme et nous apportent leurs connaissances et une complémentarité européenne et internationale qui sont très bénéfiques au projet. On a donc su bien s’entourer, ce qui fait de ce projet un projet ambitieux.
CY Initiative : Quelles sont les prochaines étapes dans votre projet ?
Luciana Radut-Gaghi : À ce stade, nous avons commencé la récolte des données et nous avons embauché une doctorante en septembre 2021 en cotutelle avec l’université Babeș-Bolyai.
Aujourd’hui nous sommes plutôt avancés avec les analyses des résultats de la COP26 et nous avons des difficultés sur la COP27, car nous avons récolté beaucoup plus de tweets que sur la COP26, rendant le traitement et le nettoyage manuel du corpus impossible. Nous nous sommes mis directement en contact avec X pour envisager avec eux de procéder autrement. Nous avons également des difficultés sur la COP28 à cause du passage de Twitter à X. La collecte telle que nous la faisions sur Twitter n’est plus possible. Il va donc nous falloir trouver un nouveau procédé, mais grâce aux compétences de l’équipe nous devrions trouver rapidement des solutions.
Dans un même temps, nous avançons beaucoup sur l'identification des partenaires potentiels du projet qui pourraient être intéressés par les résultats de l’étude. Cela nous aide à comprendre quels seront nos interlocuteurs dans un futur dialogue. La doctorante travaille actuellement sur cette base de données des partenaires et des méthodes d’engagement que nous pourrions exploiter. Cela devrait être fini avant l’été.
Pour l’année 2024-2025, nous aurons l’embauche d’un post-doctorant en data sciences qui devra appliquer des outils informatiques à ces grands corpus. L'objectif sera d’effectuer une étude à large échelle.
CY Initiative : Quelles sont vos ambitions sur le plus long terme ?
Luciana Radut-Gaghi : Notre ambition est grande. Nous souhaiterions assister à une COP, peut-être à la COP31 en décembre 2026. Nous avons un double objectif. Tout d’abord, nous souhaiterions présenter les résultats de nos recherches et faire comprendre que ces grandes messes du réchauffement climatique ne sont pas nécessairement des événements qui ont un lien avec la science. Les politiques y parlent politique, les militants y parlent militantisme, mais en analysant par exemple les échanges durant la COP26, on s’aperçoit que la science est presque absente du débat.
Le deuxième objectif est de pouvoir participer aux débats. Il y a une volonté de plus en plus forte aujourd’hui de faire entendre la voix des scientifiques dans des forums où ils n’avaient traditionnellement pas leur place. Cela s'appelle de la diplomatie scientifique : nous sommes convaincus que les scientifiques et l’université ont un rôle à jouer dans les discussions diplomatiques de tout type et pas seulement les COP.
Nous avons aussi pour objectif de développer ces recherches sur le plus long terme. L’objectif est de candidater en 2027 au Synergy Grant de l’European Research Council et de prétendre ainsi à un financement européen. Nous voudrions nous engager sur une dynamique de développement de ces recherches sur le long terme.
Luciana Radut-Gaghi : Depuis 2011, je suis maitre de conférences en Sciences de l’information et de la communication à CY Cergy Paris Université. J’ai été promue professeur des universités en 2022. J’ai fait ma thèse en sciences sociales à l’université Paris-Descartes sur les discours des politiques et des intellectuelles sur l’intégration européenne. En vertu de ce sujet, j’ai fait ma carrière en sciences de l’information et de la communication.
Pendant de longues années, j’ai continué à mener des recherches sur l’Europe. Je poursuis d’ailleurs cette étude dans le cadre du réseau LEMEL (L’Europe dans les médias en ligne formé de chercheurs originaires de huit pays dans le monde). Au fil des analyses, je me suis d’abord intéressée à la question de la vérité ou des vérités qui ne connaissent pas en réalité de réponses heuristiques uniques.
Ensuite, je me suis intéressée plus précisément aux crises que nous avons traversées ces vingt dernières années, allant des crises économiques à la crise des migrants, au Brexit, à la Covid et plus récemment à la guerre en Ukraine. Toutes ces crises ont rendu très évident le fait qu’il y avait des vérités qui semblaient circuler dans l’espace public, et pas une seule vérité. De plus, les porteurs de ces vérités semblaient avoir des statuts égaux dans l’espace public, comme si rien ne les différenciait.
Les recherches faites jusqu’ici pendant le 20ème siècle mettaient surtout en avant le statut privilégié du chercheur et de la science dans une économie de la parole et dans le discours public. La manière dont les scientifiques ont été présents et présentés, notamment durant la crise de la Covid, la plus récente en la matière mais pas la seule naturellement, a fait ressortir une sorte de lutte de légitimité chez les scientifiques. Invités sur les plateaux de télévision ou à prendre la parole dans les médias, ils avaient besoin de justifier et d’argumenter leurs paroles scientifiques. Or, pour moi, ceci est un non-sens. On n'argumente pas une vérité. On l'explique, on la démontre, on la fait comprendre, mais on n’argumente pas la science. C’est tout le sujet de mes travaux de recherche aujourd’hui.
CY Initiative : Vous avez été lauréate de l’appel à projet 2023 de CY Initiative. En quoi consiste ce projet ? Et quel est son objectif ?
Luciana Radut-Gaghi : Ce projet a émergé il y a cinq ans suite à une réflexion menée avec mon collègue Axel Boursier du laboratoire LT2D. En discutant des orientations de nos recherche, nous avons identifié un sujet central sur lequel nous pencher : les voix du raisonnement scientifique et l’incertitude de la connaissance dans le débat public, notamment sur le sujet du réchauffement climatique. Après plusieurs échecs lors de divers appels à projet, nous avons fini par obtenir un financement de CY Cergy Paris Université en 2023.
Le projet UNKNOWNPATH, lauréat de l'appel à projet 2023 de CY Initiative, vise à comprendre comment des communautés épistémiques véhiculent les mêmes informations scientifiques souvent sous forme d’arguments pour des actions et des intentions qui n’ont rien à voir avec la science. Nous partons d’une observation simple : les mêmes arguments sont utilisés par des communautés très variées, et souvent avec des intentions très différentes, voire opposées. Notre objectif est de comprendre comment cela s'articule dans un espace public digital, en partant des réseaux sociaux et plus spécifiquement sur le réseau social Twitter (connu aujourd’hui sur le nom de X).
Pour cela, nous avons organisé notre projet de recherche en plusieurs étapes. Nous avons commencé par identifier ces communautés épistémiques pour ensuite nous intéresser aux données. En effet, la deuxième étape consiste à comprendre comment des milliers de publications sur X peuvent créer ou influencer des polymorphismes, des paradigmes, des théories liées aux changements climatiques. Pour finir, il s’agira de comprendre comment ces arguments fondés sur la science sont utilisés pour convaincre, et cela à l’échelle mondiale.
Pour ce faire, nous avons décidé de nous focaliser plus spécifiquement sur les Conferences of the parties, plus communément appelés COP. Ces conférences de l’Organisation des Nations unies, qui se déroulent chaque année dans un pays différent, réunissent depuis 1995 les gouvernements du monde entier pour réfléchir aux moyens de lutter contre les changements climatiques. Dans la cadre de ce projet, nous allons nous concentrer sur l’analyse des trois dernières COP, en nous arrêtant à la COP28 qui s’est déroulée en 2023 à Dubaï. L’objectif est d’observer entre chaque COP les grands débats et grandes controverses liés au changement climatique. Toutes ces polémiques ont des ancrages dans des informations et théories scientifiques, mais ce n’est pas pour autant qu’elles sont des controverses scientifiques dans l’espace public. Et le plus souvent, ce que nous observons, c’est qu’elles se transforment en controverses sociales. La science perd donc son statut premier, et ces controverses sont soumises à d’autres intérêts et notamment des intérêts privés et politiques.
CY Initiative : Quelles sont les forces de votre projet ?
Luciana Radut-Gaghi : Dans le cadre de cet appel à projets, nous avons su bâtir une équipe de recherche avec des compétences scientifiques complémentaires. Cela s’est fait dès la phase d’étude du projet où nous avons eu des retours très constructifs de la part de nos collègues de l’ESSEC. C’est à ce moment-là que nous avons eu l’opportunité d’échanger et d’enrichir l’équipe projet.
Elle se compose ainsi aujourd’hui des professeurs Fabrice Cavarretta et Linda Benraïs, des collègues de l’ESSEC Business School avec des compétences en sciences des organisations et en négociation et puis avec des approches théoriques très originales. A cela s’ajoutent les connaissances et compétences du professeur Dimitris Kotsinos, spécialiste en data sciences à CY Cergy Paris Université, qui apporte une vision Big Data au projet. Nous avons également des collègues du LPI qui sont venus avec des outils d’IA sur lesquels ils travaillent avec pour ambition de remonter l’argumentation jusqu’à la source scientifique. Et pour finir nous avons également des collègues de l’université Babeș-Bolyai en Roumanie qui travaillent spécifiquement dans le journalisme et nous apportent leurs connaissances et une complémentarité européenne et internationale qui sont très bénéfiques au projet. On a donc su bien s’entourer, ce qui fait de ce projet un projet ambitieux.
CY Initiative : Quelles sont les prochaines étapes dans votre projet ?
Luciana Radut-Gaghi : À ce stade, nous avons commencé la récolte des données et nous avons embauché une doctorante en septembre 2021 en cotutelle avec l’université Babeș-Bolyai.
Aujourd’hui nous sommes plutôt avancés avec les analyses des résultats de la COP26 et nous avons des difficultés sur la COP27, car nous avons récolté beaucoup plus de tweets que sur la COP26, rendant le traitement et le nettoyage manuel du corpus impossible. Nous nous sommes mis directement en contact avec X pour envisager avec eux de procéder autrement. Nous avons également des difficultés sur la COP28 à cause du passage de Twitter à X. La collecte telle que nous la faisions sur Twitter n’est plus possible. Il va donc nous falloir trouver un nouveau procédé, mais grâce aux compétences de l’équipe nous devrions trouver rapidement des solutions.
Dans un même temps, nous avançons beaucoup sur l'identification des partenaires potentiels du projet qui pourraient être intéressés par les résultats de l’étude. Cela nous aide à comprendre quels seront nos interlocuteurs dans un futur dialogue. La doctorante travaille actuellement sur cette base de données des partenaires et des méthodes d’engagement que nous pourrions exploiter. Cela devrait être fini avant l’été.
Pour l’année 2024-2025, nous aurons l’embauche d’un post-doctorant en data sciences qui devra appliquer des outils informatiques à ces grands corpus. L'objectif sera d’effectuer une étude à large échelle.
CY Initiative : Quelles sont vos ambitions sur le plus long terme ?
Luciana Radut-Gaghi : Notre ambition est grande. Nous souhaiterions assister à une COP, peut-être à la COP31 en décembre 2026. Nous avons un double objectif. Tout d’abord, nous souhaiterions présenter les résultats de nos recherches et faire comprendre que ces grandes messes du réchauffement climatique ne sont pas nécessairement des événements qui ont un lien avec la science. Les politiques y parlent politique, les militants y parlent militantisme, mais en analysant par exemple les échanges durant la COP26, on s’aperçoit que la science est presque absente du débat.
Le deuxième objectif est de pouvoir participer aux débats. Il y a une volonté de plus en plus forte aujourd’hui de faire entendre la voix des scientifiques dans des forums où ils n’avaient traditionnellement pas leur place. Cela s'appelle de la diplomatie scientifique : nous sommes convaincus que les scientifiques et l’université ont un rôle à jouer dans les discussions diplomatiques de tout type et pas seulement les COP.
Nous avons aussi pour objectif de développer ces recherches sur le plus long terme. L’objectif est de candidater en 2027 au Synergy Grant de l’European Research Council et de prétendre ainsi à un financement européen. Nous voudrions nous engager sur une dynamique de développement de ces recherches sur le long terme.