Cillian Byrne est lauréat du programme Emergence. Avec son projet BADPART, il étudie les "interrupteurs" moléculaires de la protéine Tau, pour prévenir ou inverser son agrégation dans les maladies neurodégénératives.
CY Initiative : Pourriez-vous vous présenter et nous en dire plus sur votre carrière et vos grandes thématiques de recherche ?
Cillian Byrne : Je suis d'origine irlandaise. J'ai fait une licence de quatre ans en Irlande, en sciences avec une spécialisation en chimie, puis je suis parti à l'Université de Sydney où j'ai fait une thèse sur les peptides et les molécules bio-organiques.
J'ai ensuite fait un post-doc à Nottingham, de nouveau sur des peptides mais cette fois-ci dans le contexte du cancer. Puis j'ai été recruté par l'Institut de Beaulieu, une association fondée par le professeur Beaulieu pour lutter contre la maladie d'Alzheimer. J'ai travaillé durant 12 ans au sein de l'équipe de Biomolécules basée à Sorbonne Université. J'ai ensuite intégré le laboratoire BioCIS à CY Cergy Paris Université il y a 18 mois.
Globalement, je fais de la chimie organique appliquée à des systèmes biologiques. Mes thématiques principales sont la chimie bio-organique et la biophysique appliquée aux maladies neurodégénératives (notamment la maladie d'Alzheimer). Mon but est de comprendre comment des fragments de protéines deviennent toxiques dans le cerveau, et propagent la maladie, et ainsi de développer des molécules qui empêchent ou inversent ce processus.
CY Initiative : Vous avez été lauréat de l’appel à projets 2023 de CY Initiative. En quoi consiste ce projet ? Quel est son objectif ?
Le projet s'appelle BADPART (le nom vient de l'anglais "bad part", la mauvaise partie). Il porte sur la protéine Tau, une protéine qui stabilise les microtubules des neurones, et son basculement en une forme agrégée et toxique. Tau forme des fibrilles dans le cerveau et ces structures sont liées à la progression de la maladie d'Alzheimer et à une trentaine d'autres maladies neurodégénératives (maladie de Pick, formes liées aux traumatismes répétitifs, etc.).
Notre objectif est double. Il s’agit tout d’abord de comprendre quels sont les "interrupteurs" moléculaires qui transforment la protéine Tau de son état fonctionnel en un état structuré et toxique. D’autre part, nous essayerons de concevoir des petites molécules, notamment fluorées, capables d'empêcher cette agrégation voire de défaire les agrégats, et qui puissent éventuellement être amenées dans le cerveau pour un développement thérapeutique.
L'objectif final est de trouver une petite molécule stable, capable de pénétrer dans le cerveau, d'empêcher l'agrégation de Tau et idéalement de réduire les agrégats déjà présents. J'ai déjà une expérience de valorisation (création de start-up) et je sais que, si les résultats sont positifs, l'étape clinique et la valorisation sont possibles. BADPART veut apporter une pierre significative à la compréhension des déclencheurs des maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer et proposer des voies thérapeutiques concrètes.
CY Initiative : Concrètement, comment va se déployer ce projet ?
Concrètement, le projet comprend plusieurs volets complémentaires et une chaîne d'étapes expérimentales.
Nous allons tout d’abord travailler sur la synthèse de fragments de la protéine Tau. Pour ce faire, nous utiliserons la synthèse sur support solide (technique primée par un prix Nobel) pour fabriquer rapidement des fragments peptidiques représentant des séquences de Tau et leurs modifications.
Ensuite nous allons travailler à l’assemblage de fragments. En collaboration avec la Sorbonne et plus particulièrement Fabienne Burlina, nous ferons la ligation de ces fragments pour obtenir des peptides plus grands ou modifiés, dépassant les limites d'une synthèse simple. J'ai bon espoir que la fabrication des premiers fragments prenne 3 à 4 mois.
En laboratoire, nous déclencherons l'agrégation de ces fragments et nous utiliserons des techniques biophysiques pour mesurer l'agrégation et son inhibition. Un étudiant de M2 travaillera sur la conception et la synthèse des petites molécules (beaucoup seront fluorées, le fluor étant un atome “un peu magique” en chimie médicinale) qui visent à empêcher l'agrégation.
Si nos molécules montrent de l'efficacité, nous irons travailler avec des collaborateurs externes (l’Institut Paul Scherrer pour la biophysique de pointe, et Guy Lippens à l’Institut de biotechnologie de Toulouse pour la Résonance Magnétique Nucléaire) afin d'étudier les interactions à l'échelle atomique.
Avec l'Institut de Beaulieu, qui dispose de très bons modèles Alzheimer (souris, lignées cellulaires), nous pourrons tester l'effet des molécules in cellulo et in vivo. Parallèlement, nous intégrerons des stratégies de délivrance pour s'assurer que les petites molécules atteignent les neurones.
CY Initiative : Pourquoi avoir candidaté à cet appel à projets ?
En tant qu'enseignant-chercheur, on consacre beaucoup de temps à l'enseignement et à la recherche de financements ; disposer d'un financement comme celui de CY Initiative permet de recruter des étudiants et de mettre en place les premières expériences et la production des molécules. C'est aussi une étape pour obtenir des financements plus importants par la suite (ANR, collaborations internationales) : nous avons d'ailleurs déposé en parallèle un PRCI pour la collaboration Suisse.
Au-delà, il y a la logique scientifique : aujourd'hui les techniques nous permettent de voir la structure atomique des fibrilles (ce n'était pas le cas il y a quelques années). C'est le bon moment pour étudier précisément ces "interrupteurs" et pour développer des molécules qui empêchent l'agrégation ou bloquent la propagation. Si l'on comprend ces déclencheurs, on peut proposer des stratégies pour les cibler dans le corps, soit en visant les enzymes qui provoquent la modification, soit en posant des molécules à la surface des agrégats pour arrêter leur extension, et à plus long terme, aller vers des essais cliniques si on identifie des petites molécules efficaces et bien délivrées au cerveau.