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Publié le 2 décembre 2025 Mis à jour le 5 décembre 2025

Fibres de carbone dopées : une nouvelle piste pour améliorer la cicatrisation osseuse

Mathilde Hindié biomateriaux
Mathilde Hindié biomateriaux - Mathilde Hindié travaille au sein du laboratoire ERRMECe.

Lors de son appel à projet 2025, CY Initiative a soutenu 16 projets de recherche innovants. Découvrons ensemble le projet E-BIOMIMOS, l’un des projets lauréats du programme Emergence dirigé par Mathilde HINDIE, ingénieure de recherche au laboratoire ERRMECe à CY Cergy Paris Université. Ce projet vise à fonctionnaliser des tissus en fibre de carbone par électrodéposition de phosphates de calcium « dopés » (strontium, zinc) pour améliorer l’adhérence cellulaire, favoriser la cicatrisation osseuse et limiter le risque d’infections en chirurgie orthopédique.

CY Initiative : Pourriez-vous vous présenter et nous en dire plus sur votre carrière et vos grandes thématiques de recherche ? 

Mathilde Hindié : J’ai d’abord étudié la biologie, puis je me suis spécialisée en génie biomédical au cours de mon master et de mon doctorat. C’est un domaine d’étude véritablement transversal — on y croise des biologistes, des chimistes, des physiciens — et j’apprécie particulièrement d’être à l’interface entre ces disciplines. Après mon doctorat, j’ai effectué deux post-docs à l’étranger, en Turquie et en Espagne. À mon retour, j’ai été ATER (attachée temporaire d’enseignement et de recherche) à Cergy, avant d’être recrutée comme ingénieure de recherche au laboratoire ERRMECe.

Mon thème principal de recherche, et cela depuis longtemps, c’est l’interaction cellules-matériaux, donc les biomatériaux. Concrètement, nous travaillons sur la bio-fonctionnalisation des matériaux. Cela consiste à déposer des molécules biologiques pour que les cellules adhèrent mieux (ou au contraire n’adhèrent pas) et améliorer l’interface. J’ai beaucoup collaboré avec d’autres chercheurs de CY Cergy Paris Université comme Véronique Larreta‑Garde, Olivier Gallet, Damien Seyer du laboratoire ERRMECe mais aussi Séverine Alfonsi du LPPI.  

CY Initiative : Vous avez été lauréate de l’appel à projets 2025 de CY Initiative. En quoi consiste ce projet ? Et quel est son objectif ? 

Mathilde Hindié : L’idée centrale du projet, c’est de fonctionnaliser des tissus en fibre de carbone par électrodéposition d’une couche de phosphate de calcium “dopé” (on ajoute d’autres ions). Concrètement, on va doper avec du strontium et du zinc : le strontium pour des effets sur la cicatrisation/osseux, le zinc pour ses propriétés antibactériennes. Le tissu en fibres de carbone tissées a l’apparence d’un vrai tissu mais il a également l’avantage de conduire le courant, donc il est bien adapté à l’électrodéposition. Le revêtement s’entoure le long de la fibre, ce qui permet de ne pas juste avoir un revêtement rigide type plaque sur sa surface. 

L’objectif est d’améliorer l’adhérence cellulaire et, en même temps, de prévenir l’infection — problématique réelle en orthopédie (2–5 % d’infections post-opératoires en chirurgie orthopédique). À terme, grâce à ce tissu, nous visons des applications de réparation notamment osseuse pour des fractures compliquées, pour des pertes osseuses ou des reconstructions faciales où le tissu de carbone peut être un avantage (il est inerte, souple et ne crée pas autant d’artéfacts en IRM ou scanner, contrairement à certains métaux comme les implants en titane). Ce n’est pas adapté pour des très grosses pertes osseuses, dans certaines situations cliniques spécifiques ce matériau peut aider la cicatrisation et faciliter le suivi en imagerie.  

CY Initiative : Concrètement, comment va se déployer ce projet ? 

Mathilde Hindié : Le projet se déroulera en plusieurs étapes, avec des ressources humaines et techniques clairement planifiées. Nous allons tout d’abord début février accueillir un étudiant en deuxième année de Master, qui travaillera au sein du laboratoire LPPI avec Séverine Alfonsi pour apprendre les électrodépositions. On testera différentes conditions, notamment plusieurs concentrations de zinc — on sait déjà qu’il ne faut pas dépasser environ 5 % pour rester non‑toxique pour les cellules. Nous regarderons ainsi comment cela s’intègre aux fibres de tissu et si le revêtement ne se détache pas dans le milieu de culture. 

Pour ce faire nous utiliserons la microscopie électronique à balayage qui nous permettra de vérifier la présence et la morphologie du dépôt (plaques, boules, homogénéité des couches). On testera aussi des traitements thermiques sous atmosphère contrôlée grâce au laboratoire LPPI pour stabiliser le revêtement. Nous testerons ainsi le tissu en milieu physiologique à 37°C durant 8 jours pour voir si les dépôts résistent. Nous soumettrons également le tissu à des tests mécaniques, en tirant dessus par exemple. 

Si cela est concluant, nous pourrons passer à des tests cellulaires (viabilité, prolifération) puis des essais combinant cellules et bactéries pour se rapprocher de la réalité clinique. 

C’est un projet ambitieux mais très concret : nous avons déjà obtenu des résultats préliminaires encourageants (des dépôts, des images, des premiers tests cellulaires). Grâce à cet appel à projets, nous allons pouvoir optimiser la méthode, tester la durabilité et réaliser les premières validations biologiques et antibactériennes. L’idée est de progresser étape par étape, garder la porte ouverte aux collaborations (cliniciens, microbiologistes, partenaires industriels) et, si tout se passe bien, monter vers des financements plus larges et des tests de plus grande échelle. 

CY Initiative : Pourquoi avoir candidaté à cet appel à projets ? 

Mathilde Hindié : Pour plusieurs raisons. D’abord parce que nous sommes un projet transversal, impliquant plusieurs laboratoires (ERRMECe, LPPI, plateforme I-Mat…). Le programme Emergence permet également de financer des besoins très concrets qui sont essentiels dans ce projet : stagiaires, consommables, un peu d’équipement, participer aux frais de plateforme. 

Ensuite, c’est une première étape pour consolider le projet avant de candidater à des financements plus importants (ANR, projets européens). Avoir des résultats préliminaires solides aide pour monter un dossier ANR ou pour convaincre des partenaires internationaux.  

Enfin, ce type d’appel à projets favorise l’interdisciplinarité : cela nous a permis d’embarquer des expertises complémentaires (microscopie, caractérisation matériaux, ingénierie) et d’avoir des regards extérieurs (comme Olivier Gallet) qui questionnent et font avancer le projet.